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31. Anne-Louise-Germaine de Staël. “De l’esprit de conversation” in De l’Allemagne (Paris, 1813), 96–97

Le genre de bien-être que fait éprouver une conversation animée ne consiste pas précisément dans le sujet de cette conversation; les idées ni les connoissances qu’on peut y développer n’en sont pas le principal intérêt; c’est une certaine manière d’agir les uns sur les autres, de se faire plaisir réciproquement et avec rapidité, de parler aussitôt qu’on pense, de jouir à l’instant de soi-même d’être applaudi sans travail de manifester {97} son esprit dans toutes les nuances par l’accent, le geste, le regard, enfin de produire à volonté comme une sorte d’électricité qui fait jaillir des étincelles, soulage les uns de l’excès même de leur vivacité et réveille les autres d’une apathie pénible.

Rien n’est plus étranger à ce talent que le caractère et le genre d’esprit des Allemands; ils veulent un résultat sérieux en tout. Bacon a dit que la conversation n’étoit pas un chemin qui conduisoit à la maison, mais un sentier où l’on se promenoit au hasard avec plaisir. Les Allemands donnent à chaque chose le temps nécessaire, mais le nécessaire en fait de conversation c’est l’amusement; si l’on dépasse cette mesure l’on tombe dans la discussion, dans l’entretien sérieux, qui est plutôt une occupation utile qu’un art agréable. Il faut l’avouer aussi, le goût et l’enivrement de l’esprit de société rendent singulièrement incapable d’application et d’étude, et les qualités des Allemands tiennent peut-être sous quelques rapports à l’absence même de cet esprit.